Les matériaux de construction
de Belgique et du Nord de la France
(Prof.Dr. Eric Groessens, Géologue européen.
Service géologique de Belgique, 13, rue Jenner – 1000 Bruxelles)
Introduction
La Belgique et la partie septentrionale de la France sont depuis
deux mille ans des producteurs renommés de marbres et de matériaux
de construction. La dernière catégorie comprend des calcaires,
des grès à ciments divers et dans une moindre mesure, des
ardoises et des roches éruptives. Quant-au terme « marbre
», il désigne ici, non pas des calcaires ou dolomies métamorphiques,
mais uniquement des calcaires durs, sédimentaires, d’âge
dévono-carbonifère, qui allient un aspect agréable
à la possibilité de prendre un beau poli et d'être
utilisés en décoration.
Ce sont des roches à faible porosité mais de colorations
variées souvent rehaussées par des veines de calcite ou
par des restes d'organismes fossiles tels que les coquillages, les coraux,
des algues, des encrines et des remplissages énigmatiques dénommés
« stromatactis ».
Nos régions ont produit des centaines de variétés
différentes et étaient jusque vers le milieu du XXème
siècle, parmi les principaux producteurs mondiaux. La plupart de
ces sites d'exploitation ont été abandonnés ou transformés
en carrières de concassés. Les gisements encore en activité
seront seuls repris : ce sont les encrinites crinoïdiques bleu foncé
appelé « Petit Granit », « Calcaires de Meuses
» et les Marbres Rouges et Noirs Belges et les Marbres du Boulonnais.
Les pierres blanches
La Belgique est par contre un petit producteur de Pierres
Blanches, mais celles-ci ont acquis leurs lettres de noblesse
depuis la période gothique, pendant laquelle nombre d'hôtels
de ville et de cathédrales ont été érigés
dans ces matériaux. Les calcaires qui étaient les plus appréciés
pour la sculpture étaient d’une part, une craie turonienne,
exploitée en souterrain à Avesnes-Le-Sec et Hordain, et
d’autre part, une calcarénite connue sous le nom de Tuffeau
de Maestricht. En Belgique, deux calcaires gréseux lutétiens
sont encore exploités, ce sont la Pierre de Baelegem
ou Grès lédien et la Pierre de
Gobertange, aussi appelée Moellon Bruxellien
; un calcaire jurassique (Bajocien) est sporadiquement exploité
à la frontière française sous le nom de Pierre
Gaumaise ou Pierre de Grandcourt. Ce calcaire
est également exploité au Grand-duché de Luxembourg,
au lieu-dit Weisskaul, sous le nom de Pierre de Rumelange.
Weisskaul peut se traduire par choux-fleur et rappelle l’existence,
à ce niveau de biohermes à Isastrea. C’est un calcaire
blanc-jaune d’une structure homogène, constitué par
l’accumulation de débris d’organismes. Il se laisse
facilement travailler et montre alors de belles structures entrecroisées
et un classement des débris fins ou plus grossiers. Cette pierre
était exploitée, côté français, à
Autun-le-Tiche.
En Lorraine, cette même formation est actuellement extraite d’une
grande carrière à Malancourt-la-Montagne par la société
Vaglio et dénommée Pierre de Jaumont. Elle
est justement qualifiée, à cause de sa couleur jaune-ocre,
de « Pierre du Soleil ».
Ces calcaires bajociens étaient exploités dès l’époque
gallo-romaine, comme en témoignent les nombreux sarcophages et
stèles funéraires découverts dans les chantiers archéologiques
de Metz ou les belles sculptures exposées dans les musées
de Luxembourg et d’Arlon. Ces pierres étaient aussi très
employées au XIIIème et XIVème siècles pour
bâtir les grands édifices religieux flamboyants tels que
la cathédrale de Metz et la remarquable basilique d’Avioth.
Plus près de nous, il faut signaler un temple bouddhiste à
Kobe. Les édifices civils n’ont jamais été
en reste : la belle Place Ducale à Charleville, de nombreux bâtiments
à Lyon et jusqu’au Casino de Macao sont en Pierre de Jaumont.
Dans une zone frontalière, comme celle qui nous intéresse,
les ingénieurs militaires ont évidement fait une grande
consommation de cette pierre. La belle couleur chaude des remparts de
Vauban à Luxembourg, des citadelles de Montmédy et Sedan
rappelle l’usage de la pierre locale.
Dans cette même région, les grès d’Hettange
(le stratotype de l’Héttangien à Hettange-Grande est
devenu une Réserve naturelle géologique) furent exploités
dans la Carrière Gries jusqu’au milieu du XXème siècle
pour la confection de moellons et pavés. Dénommés
Grès de Luxembourg par les géologues, ils
sont encore exploités actuellement à Larochette et connus
au Grand-Duché sous le nom de Pierre d’Ernzen.
C’est un grès à ciment calcitique ; le pourcentage
de calcite peut varier dans des limites assez larges, mais tourne généralement
autour de 25 à 30 %. La teinte à l’état oxydé,
varie de blanc à beige en fonction de la proportion d’oxyde
de fer.
La succession d’exploitants belges, précédant l’actuelle
SARL Feidt, permet d’expliquer les nombreuses applications
de ce matériau en Belgique et au Pays-Bas. Les utilisations anciennes
témoignent de la bonne tenue de ce matériau et de la finesse
des sculptures qu’on pouvait en tirer. En Belgique, cette formation
ne permet que la confection de beaux pavés et moellons. Le gisement
est exploité à Florenville et le matériau dénommé
Pierre de Fontenoille. La société Emond
a récemment fourni de grandes quantités de pavés
pour des travaux de voirie à Paris, ainsi que pour le bel immeuble
des Sources Valvert en Luxembourg belge. Signalons aussi que l’entreprise
Feidt exploite également au Grand-Duché, un grès
fin-verdâtre à ciment dolomitique, d’âge triasique
dénommé Grès de Gilsdorf.
Rocamat, le premier groupe français de l’industrie
de la pierre, extrait de la pierre et du marbre dans 35 carrières
et les travaille dans 14 usines de transformation. Dans la région
Lorraine, cette société exploite le calcaire dans trois
carrières en activité permanente : Euville, Savonnière
et Brauvilliers. La carrière de Lérouville (Moulin à
Vent) est en activité occasionnelle. Euville et Lérouville
sont des calcaires à entroques d’âge oxfordien, les
deux autres sont des calcaires oolithiques d’âge portlandien.
Toute ces pierres sont exportées depuis de nombreuses années,
surtout en Benelux, mais également dans de nombreux autres pays.
Le rez-de-chaussée du Petit-Palais à Paris et le Palais
royal de Bruxelles sont en Pierre d’Euville. La façade de
la gare de l’Est à Paris est en Savonnière. Le théatre
d’Angers et le palais de justice d’Epernay sont en Brauvilliers,
alors que le port d’Honfleur est en Lérouville. La Pierre
de Senonville, qui est également un calcaire à entroques,
grisâtre, semé de petits nids ocreux, à grain un peu
plus grossier, était exploité dans de nombreuses carrières
à ciel ouvert à Senonville et Chaillon. F. Drapier réexploite
ce matériau au lieu-dit « Le Hullin » (Meuse)
Une oolithe, qui n’est plus exploitée, mais l’a été
pendant des siècles est connue sous le nom d’Oolithe
de Marquise. Ce calcaire bathonien été largement
utilisé localement, comme dans la cathédrale de Saint-Omer,
mais on le retrouve aussi dans un certain nombre d’édifices
belges, tels que la célèbre cathédrale de Tournai.
Un peu d’histoire de la marbrerie
Le sous-sol de la Belgique a de tout temps procuré aux
architectes et aux sculpteurs, les bons et beaux matériaux nécessaires
à l'érection et à l'embellissement des constructions
et à la réalisation d'oeuvres d'art. Les découvertes
archéologiques témoignent qu'à l’époque
gallo-romaine bon nombre de gisements étaient en exploitation.
Il ne fait aucun doute que dès le premier siècle de notre
ère, les marbres rouge belges et les noirs (de Tournai, Dinant,
Theux, Basècles, Bavais...) étaient exploités, sciés
et polis. A la chute de l'Empire romain, le travail du marbre a disparu
quasi totalement de nos régions.
Dès le XIème siècle, Tournai sera le premier siège
d'exploitation à reprendre le flambeau. Les régions voisines
prirent rapidement le relais. Citons entre autre la pierre blanche en
Picardie, ainsi que le marbre du Purbeck en Angleterre, la pierre bleue
en Hainaut ou bien celle de Meuse. Les fonts baptismaux tournaisiens sont
nombreux en Belgique ; de même, de nombreuses cathédrales
anglaises s'enorgueillissent de posséder des fonts de Tournai (Lincoln,
Winchester, Southampton, East Méon, St Mary Bourne, Thornton Curtis,
Ipswich, Boulge etc...).
En France également, pour ne citer que quelques exemples, signalons
ceux de la cathédrale de Châlons-sur Marne ; du Tréport,
en Haute Normandie; de Chéreng et Haumont dans le Nord ; de Vermand
dans l'Aisne ; de Vimy dans le Pas-de-Calais et de Neuville-sous-Corbie
dans la Somme. Les pierres tombales en marbre noir de Tournai sont également
très nombreuses, citons pour mémoire celle de l'évèque
Nigel dans la cathédrale d'Ely en Angleterre, et surtout celle
de Blanche de Castille à St.Denis. Vers la même époque,
des artisans cherchèrent dans d'autres régions, des matériaux
semblables se prêtant à la sculpture. Le Marbre noir de Dinant
fut, par exemple, utilisé pour réaliser le mausolée
des Ducs de Bourgogne (Dijon) et les tombeaux des rois du Danemark (Roskilde).
La Pierre de Tournai fut donc, pendant toute la période
romane le principal matériau de construction durable de tout l'Ouest
du pays. Dans la région liégeoise, les grès houillers
constituaient le matériau de prédilection. La période
gothique vit l'apparition de nouveaux matériaux, plus légers
et permettant des sculptures plus fines, qualités nécessaires
à l'érection de nos églises et de nos principaux
hôtels de ville. A l'Ouest, se fut principalement le Calcaire lédien
ou Pierre de Balegem qui fut utilisé, à l'Est, les architectes
eurent recours au Tuffeau de Lincent ou de Maestricht. Malheureusement,
ces calcaires blanchâtres souffrent des polluants atmosphériques
et furent progressivement (tel que visible à l'hôtel de ville
de Bruxelles) remplacés par d'autres matériaux tels que
les calcaires meusiens et autres Pierre de France dans des travaux de
restauration.
La Renaissance donna un nouveau coup de fouet à l'industrie marbrière
: nos marbres noirs et rouges furent alors exportés dans toute
l’Europe. La noblesse et la riche bourgeoisie embellirent leurs
châteaux et domaines avec des marbres venus de toutes parts. L'attrait
pour nos beaux marbres colorés se fit encore plus grand pendant
la période Baroque. Les choeurs de nos anciennes cathédrales
furent agrémentés par de somptueux autels et les nefs principales
de nombreux édifices religieux furent coupées par des jubés
pour lesquels les artisans se surpassèrent.
L'apogée du commerce du marbre fut certainement atteint, suite
aux agrandissement effectués par Louis XIV au château de
Versailles, pour lequel des panneaux muraux, des dallages, des colonnes,
des escaliers etc... furent réalisés en marbres de provenances
diverses, en grandes quantités des provinces septentrionales appelées
Flandres. D'où l'origine des qualificatifs Rouges, Noirs ou Granits
de Flandres encore largement utilisés par les amateurs d’art.
La Galerie des Glaces de Versailles n'eut été aussi belle
sans le concours du plus prestigieux de nos marbres rouges: le Rouge de
Rance. Versailles inspira, non seulement de nombreux souverains étrangers,
mais également la noblesse et la bourgeoisie naissante.
Après la Révolution et avec l'Empire, l’industrie
marbrière retrouva une partie de son éclat d'antan, car
il se créa une nouvelle noblesse et une bourgeoisie qui ne lésinaient
pas sur les signes extérieurs de richesse. Le blocus anglais, en
empêchant l'arrivée des produits italiens, transportés
par mer, favorisa le commerce avec nos régions. Cette période
fut également celle du début de l'industrialisation et de
la création de l'Administration des Mines.
Après l'abdication de Napoléon, de nouveaux Etats furent
créés. Des mesures protectionnistes furent progressivement
introduites par les gouvernements. Les marbriers belges furent privés
de leur débouché naturel que constituait la capitale française.
De nombreux artisants belges émigrèrent vers le nord de
la France où tout ce qui pouvait se travailler et polir fut exploité
: ainsi naquirent les Noirs français, le Sainte-Anne français,
etc. Parallèlement, les marbriers belges s'orientèrent vers
de nouveaux marchés et la croissance fut telle que lors de son
apogée, qui se situe dans la seconde moitié du XIXe et jusqu'à
la Grande Guerre, l’industrie marbrière belge dominait le
marché international. Mais un déclin progressif s'amorçait,
et à l'exception de deux courtes périodes de reconstruction
après les guerres, une régression générale
s'opéra.
Il n’en demeure pas moins que l’industrie de la pierre en
Belgique est loin d’être insignifiante. Depuis le 1990, les
principaux producteurs se sont regroupés pour promouvoir ensemble
leurs produits. Ainsi est né Pierre et Marbres de Wallonie.
Après le succès d’édition du beau livre portant
le nom de l’association, elle vient de publier un nouveau volume
de prestige dénommé, Vies de Pierres.
Il faut aussi signaler, que si la Belgique n’extrait pas un mètre
cube de granite sur son territoire, elle a su développer une industrie
granitière de transformation puissante et la revue française
spécialisée Pierre Actual titrait en juillet 1995 : «
Bruxelles, capitale européenne du Granit ». La France, à
elle seule, a acheté à la Belgique en 2001, plus de 12.000
tonnes de granits ouvrés.
Les marbres encore exploités dans nos régions
: honneur à la Pierre Bleue
Le matériau belge le plus exploité est incontestablement
le Petit-Granit ou Pierre Bleue aussi
dénommé Pierre de Soignies et Ecaussinnes
dans les documents douaniers . C'est un calcaire à entroques bleu
foncé, d’âge tournaisien. Comme chaque élément
du squelette de ces animaux est un monocristal de calcite, la roche que
forme l'accumulation des ces éléménts fossiles présente
certaines analogies avec les granits. Ce calcaire a aussi été
appelé diversement dans le passé, dont le Marbre de Ligny.
Ce marbre était connu et apprécié à Paris,
dès la fin du XIXème siècle. Le Panthéon,
la Madeleine et Notre-Dame de Paris sont dallés avec ce matériau.
Plus de 80% de la production sont issus de la région de Soignies,
les 20% restants provenant de la région au sud de Liège,
d’Yvoir et de Spontin. L'épaisseur totale des bancs exploités
est d'environ 40 m et leur couleur varie du gris au bleu virant au noir
lorsqu'il est poli. Le Petit Granit est un des meilleurs matériaux
de construction en Europe; il se compose de plus de 95% de carbonate de
calcium, ne s'altère pratiquement pas, est inerte au gel, à
la pluie, aux vents chargés de sels marins, et est très
résistant aux fumées sulfurées.
Le Petit Granit, n’est pas la seule pierre à être classée
dans les Pierres Bleues ; en effet, le Calcaire de Tournai et
le Calcaire de Meuse appartiennent aussi à cette
catégorie. Nous avons déjà longuement disserté
sur l’importance historique de la Pierre de Tournai. Nous devons
ajouter que grâce aux Cimenteries Lemay de Vaulx-lez-Tournai, cette
pierre est toujours exploitée pour les travaux de restauration
et de construction neuve. Une quinzaine de mètres de calcaire,
situés de part et d’autre d’un niveau repère
d’origine volcanique (le Gras-délit) sont extraits comme
Noir de Tournai (les bancs bleus), pour les bancs supérieurs
et comme Pierre de Tournai (les bancs gris), pour ceux
de la base. Les bancs « bleus » prennent un adouci noir et
sont essentiellement utilisés pour les dallages intérieurs.
Les « gris » sont principalement destinés aux travaux
extérieurs.
Les différents calcaires viséens qui affleurent de part
et d'autre de la Meuse entre Namur et Liège, ainsi que ceux des
vallées du Samson et de la Méhaigne ont été
intensément exploités dans le passé sous la dénomination
générale de Calcaire de Meuse. Le plus
jeune, stratigraphiquement parlant, de ces calcaires est exploité
dans la carrière dite « de l’Etat » à
Sclayn, le long du fleuve. Il s'agit d'un calcaire plus finement grenu
que le Petit Granit et de teinte bleu foncée. C’est au sein
de cette formation que s’extrayait le Marbre Noir de Namur.
Un calcaire stratigraphiquement plus ancien, gris clair; oolithique et
se patinant en blanc est exploité dans une autre carrière
à Vinalmont, près de Huy. Il peut être poli et prend
alors une teinte uniformément grise, du meilleur effet. Cette roche
est composée de plus de 99% de carbonate de calcium et est insensible
à la gelée. Un autre calcaire clair, stratigraphiquement
encore un peu plus ancien que le précédent, est exploité
à Longpré (Wanze). Le Calcaire de Longpré
se distingue du Calcaire de Vinalmont par la présence
de nombreux entroques au sein de la masse.
Suite à une intuition géniale de son directeur A. Delmer,
le Service géologique de Belgique a foré le Paléozoïque
de Saint-Ghislain (pratiquement à la frontière sur l’autoroute
Bruxelles-Paris). Parmi les données obtenues grâce à
ce sondage, il faut signaler la découverte de la présence
de plus de 760 mètres d’évaporites (plus les vides)
au sein du Viséen de cette région. La dissolution locale
de ces évaporites a provoqué la formation de brèches
(Marbres de Waulsort, de Dourlers, Napoléon
etc.) et la fracturation avec recimentation par des veines blanches (Bleu
Belge…).
L’équivalent stratigraphique de ces calcaires bleus affleure
dans la boutonnière du Boulonnais mais le calcaire a changé
de couleur, suite au lessivage des couches. Il est devenu beige plus ou
moins clair, vieil ivoire, café au lait, bois de rose etc... et
la présence d’algues calcaires s’est considérablement
accrue.
Les Marbres du Boulonnais
A Rinxent, dans le Bas-Boulonnais, deux carrières exploitent
divers marbres et calcaires. Bien que leur exploitation ne soit pas de
date très ancienne, tout le monde les connaît aujourd’hui.
Leurs noms de Napoléon Tigre Patte d’Alouettes, Henriette,
Caroline, Joinville, Lunel Rubanne Notre-Dame, Loupines, Lunel Fleuri,
etc. ne sont peut-être pas étrangers à la vogue qu’ils
connaissent. Au total, on exploite vingt-six variétés.
Les structures énigmatiques de ces marbres ont fait l’objet
d’une étude remarquable du père H. Derville s.j. qui
a montré que les algues calcaires occupent le tout premier plan.
Certains bancs peuvent être considérés comme de véritables
calcaires construits ou bancs récifaux édifiés par
des thallophytes. D’autres se sont formés par sédimentation,
mais souvent aux dépens de certains organismes de nature végétale
ou bactérienne. Il est aussi à remarquer que certains bancs,
telle le Napoléon Grand Mélange, présentent
parfois de magnifiques pseudomorphoses d’évaporites encroutés
de bioconstructions algaires.
Le Marbre noir belge
Dans la production marbrière mondiale, une place privilégiée
est réservée aux marbres noirs de Belgique. Bien qu'ils
proviennent de diverses localités et d'horizons stratigraphiques
différents, ils sont connus à l'étranger sous le
nom de Noir Belge et ont en commun leur homogénéité,
leur pureté et leur texture microscopique. La plupart sont d'âge
Viséen inférieur (Dinant, Theux, Basècles) ou moyen
(Namur).
Malgré leur grande réputation, toutes ces carrières
souvent souterraines, furent fermées à cause du pourcentage
élevé de déchets par rapport au matériau noble.
Jusqu'il y a peu, une seule carrière exploitait ce précieux
matériau à Golzinne près de Gembloux. Ce marbre noir
est d’âge frasnien. La série des bancs utilisables
n'est épaisse que de quelques mètres et la production, limitée
à 400 à 500 mètres cubes par an, est presque totalement
exportée.
Depuis quelques années, une ancienne carrière de
Marbre Noir de Dinant, sise à Salet, près
de Maredsous, est réouverte à ciel ouvert. A ce propos,
signalons, la magnifique collection de fossiles, tout à fait exceptionnels,
réunis par Dom Grégoire Fournier et exposée à
l’Abbaye de Maredsous.
Dans le nord de la France, on a exploité un marbre noir de Rety
(Viséen supérieur du Boulonnais)et une série de Calcaire
givétien noir et grenu de la vallée de l’Hogneau (Bavay).
Ces marbres étaient connus sous l’appelation générale
de Noir Francais. La concentration fossilifère
de certains d’entre-eux a permi la variété des appelations
: St Vincent, Cliquant, Amandes, Fleuri, Murchisonies, Poil d’Herbe,
Coquillier, Boule de Neige, etc.
Les Marbres rouges
Au cours du Frasnien, des récifs ou mud-mounds se sont
érigés à différents niveaux de cet intervalle
stratigraphique. Les niveaux supérieurs, généralement
rouges, ont souvent fait l'objet d'exploitation. C'est ainsi que plus
de deux cents gisements anciens sont répertoriés le long
d'une bande qui s'étend depuis Maubeuge-Recquignies, au bord nord
du synclinorium de Dinant et Fromelennes-Trélon au bord sud du
même synclinorium, jusqu'à la partie orientale du synclinorium
de Dinant. C'est cependant dans la région de Philippeville qu'ils
atteignent leur développement maximum et leur plus grande concentration.
La tonalité de ces marbres varie du gris très clair au rose,
au rouge et au rouge-brun, avec parfois des nuances bleutées, des
taches noires et des veinages blancs ou gris. Il n'est pas étonnant
dans ces conditions que les appellations commerciales se soient multipliées.
Une classification générale peut cependant être appliquée
: les marbres rouges foncés sont dénommés Griotte.
Il peut y avoir un passage vers le rouge dit Royal, qui
se charge de fossiles gris qui peuvent donner naissance à des fractions
franchement noires (le Byzantin). On passe ensuite aux
marbres Gris.
Souvent au nom de Griottes, Royal, Gris, Byzantin, on ajoutait le nom
de la carrière, de la commune où il était exploité,
etc. D'autres noms, plus ou moins fantaisistes ont aussi été
employés.
Les grès et autres roches siliceuses
Tous ces marbres et pierres marbrières peuvent, outre
le polissage et le façonnage tradidionnel, faire l'objet de moellonage
et de clivage. D’autres matériaux, ne conviennent que pour
ces dernières applications. Telles sont par exemple, les arkoses
et les grès dévoniens, dont les Psammites du Condroz
qui constituent, après le Petit Granit, le matériau de construction
le plus utilisé. Les arkoses ne sont plus exploitées que
dans le Dévonien inférieur de l’Est de la Belgique.
On distingue les Pierres de Boussire, les Arkoses
de Waismes surtout de teintes claires et les Pierres
des Hautes Tailles de teintes vives.
La Belgique est riche en grès de diverses couleurs selon la composition
du ciment. En Ardennes, les grès schisteux du Dévonien inférieur
restent un matériau très apprécié (Pierres
d’Alle-sur-Semois, de Petit Monceau, de Mouzaive…). Actuellement,
seul les Quartzites blancs de Spixhe et du Bois
de Staneux sont encore extraits. Des grès tertiaires à
ciment ferrugineux (Bruxellien, Distien) sont exploités sporadiquement
pour des besoins des restaurations. Les grès à ciment calcareux
ont été traités plus haut.
Enfin, les grès durs du Famennien (Psammites du Condroz) sont à
grains très fins, siliceux et légèrement micacés.
Les variétés présentent des caractéristiques
techniques fort proches et se distinguent par des nuances de teintes qui
vont du rouge lie-de-vin au bleu et vert en passant par le jaune ocre.
Ils sont appréciés en pavage et revêtement de sols
grâce à leur surface antidérapante. Les dénominations
sont souvent liées au nom du village ou de la vallée dans
laquelle est situé le lieu d’exploitation : Grès
de Meuse, de l’Ourthe, du Bocq,
etc. ou Grès d’Yvoir, d’Arbre.
Nous aurions dû traiter au cours de cette étude des ardoises
de Fumay, de Martelange et Warnifontaine et qui étaient hautement
appréciées pour leur qualité. Malheureusement, le
fendage des ardoises de recouvrement a complètement disparu de
nos régions. La dernière ardoisière souterraine,
celle de Warnifontaine, a arrêté sa production en juin 2002,
pour se tourner vers la pierre de maçonnerie, de dallage etc. Depuis
quatre ans, les ardoisières d’Herbeumont produisent également
de la pierre ornementale, dans une carrière à ciel ouvert.
Au sein des ardoises du Massif de Vielsalm, une pierre abrasive naturelle
exceptionnelle est encore exploitée : c’est le fameux Coticule.
Rappelons également que la Belgique est un des principaux producteurs
mondiaux de silex, qui servent essentiellement comme
matériau réfractaire, mais peuvent également être
utilisés comme matériau de construction.
En guise de conclusion
La concurrence étrangère, liée d’abord,
à la création de l’Union européenne, mais actuellement
surtout, venant de l’Asie (Chine, Vietnam…) est une des principales
raisons du déclin progressif de l’industrie de la pierre
dans le nord de la France et la Belgique. Une autre raison en est la difficulté
que rencontrent nos industriels pour poursuivre leurs exploitations et
surtout pour ouvrir de nouveaux gisements, à cause des contraintes
environnementales et financières. La demande de plus en plus grande,
de roches industrielles de qualité, provoque aussi, et on peut
le regretter, le transfert vers le concasseur, de roches qui étaient
appréciées pour leurs qualités esthétiques
et techniques dans la construction et la décoration.
De nombreuses et fameuses pierres de constructions n'ont pas été
mentionnées ci-dessus car leur exploitation a été
totalement arrêtée. Parmi celles-ci, nous ne mentionnerons
que les plus célèbres : Bleu Belge, Grand Antique de Meuse,
Florence, Lilas, Notre Dame de Dieupart, Sainte Anne, Cousolre, Avesnes,
Grand et Petit Antique, etc. Les potentialités de certains gisements
sont encore importantes et le redémarrage de la Carrière
de Tailfer (Grand Antique de Meuse) est heureusement à l’ordre
du jour. On ne peut que formuler des voeux pour que d’autres variétés
suivent cet exemple.
Pour en savoir plus
- Anderson F. et Groessens E (1996) - The black Altars of Nehalennia.
Oudheidkundige Med.uit the Rijksmuseum van Oudheden te Leiden, n°76,
pp129-136.
- Braemer F.(1986) - Répertoire des gisements de pierres ayant
exporté leur production à l'Epoque romaine. Grenoble,
(1983), Coll. CTHS , 2, 1986, pp. 287-328.
- Briot P et Streiff J. -P. (1991) - L’Epopée de la Pierre
– Mairie d’Euville, 24 p.
- Camerman C. (1957) - Description et emploi en Belgique et aux Pays-Bas
des Pierres Blanches Françaises Ed. Hayez, Bruxelles, 93 p.
- Centre Scientifique et Technique de la Construction (2001) - La pierre
bleue de Belgique dite « Petit granit » d'âge géologique
Tournaisien. Notes d'informations techniques n°220, 60 p.
- Centre Scientifique et Technique de la Construction (1970) - Pierres
blanches naturelles. Note d'information technique n°80, 107 p.
- Centre Scientifique et Technique de la Construction (1986) - La pierre
de Vinalmont. Annexe 2 de la note d'information technique n°163,
11 p.
- Centre Scientifique et Technique de la Construction (1986) - La pierre
de Tournai. Annexe 1 de la note d'information technique n°163, 12p.
- Cnudde C., Harotin J. -J., & MAJOT J. -P.(1987) - Pierres et
marbres de Wallonie (en français et néerlandais) - Archives
d'Architecture Moderne à Bruxelles et Ministère de la
Région Wallonne (Service Ressources du sous-sol), pp 1-180 (existe
également en anglais/allemand).
- Coll. (1947) - Centenaire de l'Association des ingenieurs sortis
de l'Ecole de Liege (AILg.). Congrès 1947. Section Géologie.
Ed. A.I.Lg. Liège, 242 p.
- Ghislain J. -C. (1988) - Les fragments de fonts baptismaux romans
tournaisiens du Kontich et de Hove. Baukunst des Mittelalters in Europa
pp 693-710. Ed. Stuttgarder Ges. F. Kunst und Denkm.
- Gonis V. 1990, Le premier groupe français de l’industrie
de la pierre : Rocamat. Rev. Ind. Minér. Mines et carrières,
pp 177-181.
- Groessens E.(1981) - L'industrie du marbre en Belgique. Mém.
Inst. Géol. Univ. Louvain, 31, pp. 219-253, 5 fig.
- Groessens E.(1982) - Le calcaire de Vinalmont. Bull.Soc. belge Géol.,T
91, 3, pp.127-134.
- Groessens E. (1990) - Calcaires et grès mésozoiques
exploité comme pierres de construction en Gaume (Belgique) et
dans le Gutland (G.-D.Luxembourg). Bull.Soc.belge de Géol. T
99/2, pp.185-195.
- Groessens, E. (1991) - Les marbres et pierres blanches de Belgique.
Mines et Carrières, N°spécial, suppl. Vol. 73, pp
21-27.
- Groessens E. (1991) Les roches au service de l’homme : le
Petit-granit. Doc.Musée de la Pierre, Maffle, fasc.2, pp 1-35.
- Groessens E. (1992) - L’industrie des carrières et
de roches ornementales en Belgique. « Mines et Carrières
» 74, pp.91-95.
- Groessens E.(1993) - La diffusion du marbre de Rance en France.
C.R. 117°Congr.nat.Soc.Savantes, Avignon, Carrières et Constructions,
pp 193-211.
- Groessens E. (1994) - L’origine et l’évolution
de l’expression « Petit granit ». Bull.Soc.belge de
Géol.t.101, fasc ¾, pp.271-276.
- Groessens E. (1995) - L’Exploitation et l’emploi du
Marbre noir de Dinant sous l’ancien régime. C.R. 119°Congr.nat.Soc.
Hist. Et Sc. Amiens, 3°Coll.Carrières et Constructions, pp73-87.
- Groessens E. (2002) Le Calcaire de Meuse, un matériau belge
exporté depuis les romains. C.R. 126°Congr.nat.Soc.Hist.Sc,
Toulouse, sous-presse.
- Heuclin, J. (1980) - L’industrie du Marbre au XIXème
siècle à Cousolre. Mém.Soc.Arch.Hist.Arrond.Avesnes,
t.XXVII, pp. 87-111.
- Le Mausolee (1976) - Essai de Nomenclature des Carrières
Françaises de roches de Construction et de Décoration.
Le Mausolée, Givors, 254 p.
- Mailland C. (2001) - La pierre de Jaumont, 2000 ans de Carrières.
Ed. Serpenoise, Metz, 201p.
- Marchi C et Tourneur F,(Coordination générale) (2002)
- Vie de Pierres, la pierre ornementale en Belgique, état de
la question. Ed. Pierres et Marbres de Wallonies, Sprimont, 215 p.
- Peller-Seguy I. (1995) - Jaumont, Pierre de Soleil. Ed Serpenoise,
95 p.
- ROCAMAT – Documentation technique.
|