LES COMPOSANTES NATURELLES DES SITES : GEOLOGIE
Jacques BELLIERE
Professeur émérite de l’Université de Liège
Eric GROESSENS
Service géologique de Belgique
INTRODUCTION
Le paysage est la résultante de deux actions : celle de la nature
et celle de l’homme. Le rôle respectif de ces deux actions
varie beaucoup d’un endroit à l’autre, en raison principalement
de la densité de la population. C’est ainsi que, pour se
limiter à l’Europe occidentale, on observe tous les intermédiaires
entre les cas, devenus très rares, d’un paysage entièrement
naturel (haute montagne par exemple) jusqu’à celui, tout
aussi rare, d’un paysage dû entièrement à l’activité
humaine (territoires récupérés sur la mer par exemple).
Entre ces deux extrêmes s’échelonnent toute une gamme
de paysages où l’homme et la nature sont intervenus dans
des proportions diverses.
Parmi les effets de l’intervention des hommes, on pense d’abord
à des aspects souvent considérés comme dévalorisants
: l’urbanisation, les constructions industrielles, les zones d’habitat,
les aménagements tels que les routes, les chemins de fer, les lignes
de force électriques, etc. Mais les traits du paysage habituellement
regardés comme «naturels» doivent souvent beaucoup
à l’activité de l’homme. Il en est ainsi de
toutes les surfaces cultivées, y compris les forêts, exploitées
par coupes et replantations périodiques. Même les cours d’eau
de nos contrées n’échappent pas à cette situation
: leur régime est régularisé par des barrages et
leurs berges sont en maints endroits fixées ou consolidées
par des murs ou des gabions.
Il n’empêche qu’en dépit de cette action anthropique
la première caractéristique d’un site paysager est
sa composante naturelle, antérieure à l’intervention
humaine. Cette composante naturelle, c’est d’une part la géomorphologie,
c’est-à-dire les formes du relief et du réseau hydrographique,
d’autre part la nature et la répartition de la végétation.
Ces deux composantes du paysage ont pour origine première la constitution
géologique, c’est-à-dire à la fois la nature
des roches et leur agencement géométrique, et pour origine
seconde les conditions climatiques actuelles et surtout anciennes.
Dans la région wallonne qui nous occupe, la géomorphologie
résulte essentiellement de l’érosion. Celle-ci s’attaque
aux roches de manière plus ou moins aisée selon leur nature
et suivant des processus qui sont fonction du climat. Il en résulte
que la morphologie, en Wallonie, garde l’empreinte à la fois
de l’histoire géologique et des divers épisodes climatiques,
alternativement plus chauds et plus froids qui se sont succédés
au cours de la période récente, c’est-à-dire
grosso modo au cours du dernier million d’années.
Dans ce qui suit, afin d’exposer comment ces principes généraux
s’appliquent au territoire wallon, on donnera d’abord un aperçu
des grands événements dont la succession forme son histoire
géologique. On décrira ensuite dans ses grandes lignes la
constitution géologique actuelle qui est la résultante de
cette histoire. Ceci permettra de déboucher sur la caractérisation
des diverses régions naturelles du pays.
APERÇU DE L’HISTOIRE GEOLOGIQUE DE LA WALLONIE
Dans ses grandes lignes, l’histoire géologique de la région
wallonne peut se résumer de la manière suivante :
1. Dépôt d’une série sédimentaire d’âge
cambrien, ordovicien et silurien (540 à 408 millions d’années).
Ces sédiments sont tous de nature terrigène et se sont transformés
ultérieurement en grès, schistes et schistes ardoisiers
; ils ne comportent donc pas de calcaires.
2. Plissement de ces sédiments au cours de la phase tectonique
calédonienne, aboutissant à la formation d’une zone
de relief. Erosion de ce relief jusqu’à l’établissement
d’une surface sub-horizontale (pénéplaine épicalédonienne).
3. Envahissement de cette pénéplaine par la mer et dépôt,
en discordance sur le socle calédonien, d’une nouvelle série
de sédiments d’âges dévonien et carbonifère
(400 à 290 millions d’années). Cet envahissement marin
s’est opéré du sud vers le nord, de manière
progressive, de sorte que le dépôt de sédiments a
été de moins en moins complet vers le nord, et a même
épargné la partie septentrionale de la région (Hesbaye
et Brabant actuels). Cette série sédimentaire est constituée
de produits terrigènes sablo-argileux (aujourd’hui : grès
et schistes), avec deux épisodes calcaires, au Dévonien
moyen et au Carbonifère inférieur (Dinantien). De plus,
la partie la plus jeune de la série (Carbonifère supérieur
ou Houiller) a été marquée par la présence
de multiples couches de débris végétaux, aujourd’hui
transformés en charbon.
4. Déformation de l’ensemble au cours de la phase tectonique
varisque (ou hercynienne). Cette phase n’a affecté la région
qu’au sud d’une ligne parallèle au sillon Sambre-et-Meuse
et située un peu au nord de celui-ci («front varisque»).
Par un raccourcissement général dans le sens NNW-SSE, la
déformation varisque a engendré de nombreux plis et de multiples
failles de chevauchement et de charriage d’importances diverses.
Elle a simultanément engendré une nouvelle zone de relief.
Ces événements ont été suivis d’une
période d’érosion jusqu’à l’établissement
d’une nouvelle pénéplaine (pénéplaine
épi-varisque).
5. Affaissement général de la région, envahie dès
lors à diverses reprises par la mer, ce qui a amené sur
la pénéplaine épi-varisque le dépôt,
discontinu dans le temps et dans l’espace, de sédiments d’âges
mésozoïque et cénozoïque restés ensuite
non plissés et pour la plupart à l’état meuble
(craie, sables, argiles).
6. A partir de la fin du Cénozoïque : bombement d’ensemble
provoquant le soulèvement et l’érosion de l’Ardenne
sensu lato (c’est-à-dire, en gros, de l’aire affectée
par le plissement varisque) et l’enfoncement des régions
situées tant au nord (Brabant) qu’au sud (Lorraine).
Ce sont ces derniers événements qui ont façonné
la physionomie actuelle de la région wallonne
Les couvertures non plissées méso- et cénozoïques
des parties nord et sud affaissées lors du dernier bombement ont
échappé en grande partie à l’érosion
et se sont ainsi conservées jusqu’aujourd’hui. Par
contre, sur l’Ardenne sensu lato, émergée très
tôt, il s’est établi un réseau de cours d’eau
; ceux-ci, coulant sur la couverture meuble, y ont creusé aisément
leurs vallées ; ils ont ainsi atteint rapidement le socle ancien
sous-jacent dans lequel le creusement s’est poursuivi. C’est
ainsi que le tracé des cours d’eau importants est indépendant
et souvent transverse par rapport aux structures géologiques des
terrains anciens qu’ils traversent et auxquels ils ont ainsi été
surimposés. Ceci explique un des attraits paysagers de nos vallées
dont l’aspect des versants varie constamment, tantôt évasés
quand elles rencontrent des terrains schisteux, tantôt encaissés
à la traversée des formations gréseuses ou calcaires.
Pendant que les vallées s’approfondissaient de la sorte,
la couverture de terrains meubles qui couvrait le plateau ardennais était
progressivement enlevée par l’érosion, de sorte qu’il
n’en subsiste que de rares reliques, souvent d’ailleurs piégées
dans les cavités karstiques des calcaires du socle varisque. La
pénéplaine épi-varisque ainsi exhumée, a été
à son tour soumise à l’érosion. Mais ce processus,
toujours en cours aujourd’hui, s’adressant à des roches
consolidées, s’est effectué d’une manière
beaucoup plus lente et avec des degrés d’activité
variables selon la nature des roches. Ceci explique non seulement les
traits de la morphologie structurale dont il sera question plus loin («tiges»
du Condroz, par exemple) mais aussi le fait que, lorsque d’un point
élevé de l’Ardenne sensu lato on regarde le paysage,
l’horizon est toujours plat, forme qui correspond à l’ancienne
pénéplaine épi-varisque exhumée et débarrassée
de sa couverture. En d’autres termes, le relief de l’Ardenne
n’est pas celui de montagnes mais celui d’un plateau entaillé
à des degrés divers.
D’autre part, le soulèvement de l’Ardenne, lui aussi
toujours en cours à l’heure qu’il est, loin d’être
un mouvement régulier et continu, s’est manifesté
par saccades successives. Les cours d’eau ont donc connu des périodes
de creusement actif séparées par des périodes de
repos au cours desquelles l’érosion latérale des rivières
et l’érosion des versants ont élargi les vallées
et leur ont conféré un fond plat, recouvert par les alluvions
(graviers, sables, limons) déposés à l’occasion
des crues. Lors des reprises de creusement ultérieures, des parties
de ces plaines alluviales, échappées à la destruction,
ont pu rester perchées constituant des «terrasses»
qu’on trouve aujourd’hui à divers niveaux étagés
çà et là le long des versants. C’est là
un autre aspect paysager caractéristique de nos vallées.
Enfin, au cours de périodes froides qui ont marqué les dernières
dizaines de milliers d’années, la région a été
recouverte d’un dépôt de poussières apportées
par le vent. Ces poussières ont recouvert tout le pays d’une
couche de limon à grain fin, appelé «lœss»,
épaisse parfois de plus de 10 m. Dans les endroits à relief
peu accentué, ce limon s’est maintenu : c’est le cas
de la Hesbaye et du Hainaut septentrional («zone limoneuse»
des manuels scolaires), ainsi que des parties sub-horizontales de l’Ardenne
sensu lato : plateau, replats et terrasses des rivières. Par contre,
aux endroits en pente et dans le fond des vallées, ces lœss
ont été emportés par le ruissellement et par les
crues des cours d’eau.
La constitution géologique actuelle de la Wallonie est le résultat
de cette longue succession d’événements.Elle fait
apparaître l’existence des diverses régions naturelles
qui se distinguent les unes des autres par leur nature géologique.
Leurs caractères vont être précisés dans ce
qui suit.
LES REGIONS NATURELLES DE WALLONIE
LA REGION SEPTENTRIONALE (NORD DU HAINAUT, BRABANT, HESBAYE)
Le socle ancien calédonien, partiellement couvert de formations
varisques non plissées, forme le soubassement de toute la partie
nord de la Wallonie. Ce soubassement n’y est visible que dans le
fond des vallées creusées par les rivières à
travers la couverture du lœss et des formations méso-cénozoïques.
C’est donc cette couverture qui confère son caractère
à cette région naturelle : pays plat à modérément
vallonné. Il faut noter que les sols superficiels qui, sous le
climat de l’Europe occidentale se développent sur les lœss,
sont considérés comme parmi les meilleurs du monde au point
de vue de leur qualité agricole. Il en résulte que, depuis
longtemps, la région a été déboisée
au profit de l’agriculture. Le nord de la Wallonie est donc une
région sans forêt. On observera de plus à ce propos
que, dans la curieuse démarche actuelle de l’aménagement
du territoire, lorsqu’on a la chance de posséder les meilleures
terres de culture du monde, on y installe des parcs industriels, des universités
et des complexes résidentiels…
LE SILLON HAINE-SAMBRE-ET-MEUSE
Les formations les plus jeunes de la série varisque (étage
houiller) sont caractérisées par la présence, dans
une série essentiellement schisteuse, de nombreuses couches de
charbon. Ces formations n’existent pratiquement que dans le cœur
du synclinorium de Namur qui forme la partie nord de la zone plissée,
ce qui correspond au sillon Sambre-et-Meuse depuis Charleroi jusque Liège.
Dans toute cette région, la présence du charbon a été
à l’origine d’un développement industriel considérable,
ce qui a amené dans le paysage des interventions humaines très
importantes à effet généralement dévalorisant
: terrils des charbonnages, constructions industrielles diverses, habitat
souvent très dense et de qualité médiocre. Cette
emprise industrielle est surtout importante aux deux extrémités
de la région : basse Sambre et bassin de Charleroi d’une
part, pays de Liège de l’autre. La partie médiane
par contre, depuis Namur jusqu’au-delà de Huy, fait affleurer
largement le calcaire dinantien, élément très valorisant
du paysage, comme on le verra ci-après.
Dans la région qui s’étend à l’ouest
de Charleroi jusqu’à la frontière française
(Centre, Borinage), le terrain houiller est couvert en grande partie par
la couverture méso-cénozoïque plus récente.
Les composantes naturelles y sont donc les mêmes que dans la région
septentrionale, mais avec l’emprise anthopique dont il vient d’être
question.
LE CONDROZ
Plus au sud, le plissement varisque a déformé les couches
dévono-carbonifères en une vaste cuvette complexe (le synclinorium
de Dinant). Le centre de cette cuvette est occupé par une série
de plis qui amènent alternativement à la surface du sol
les grès du Dévonien supérieur dans les zones anticlinales
et les calcaires du Carbonifère inférieur dans les aires
synclinales. Les grès étant plus résistants à
l’érosion que les calcaires, le Condroz comporte ainsi une
alternance de crêtes gréseuses («tiges» du Condroz)
et de vallons calcaires («chavées» ou «xhavées»)
allongés parallèlement selon la direction des plis, c’est-à-dire
selon la structure géologique.. Le Condroz est donc une région
vallonnée, à végétation variée ; tantôt
calcicole, tantôt silicicole, où se mêlent de manière
harmonieuse les domaines boisés, cultivés et pâturés.
L le Condroz, ainsi défini par sa géologie, ne se limite
pas à la région habituellement appelée «Condroz»,
entre la Meuse et l’Ourthe : il s’étend aussi à
l’ouest de la Meuse dans la partie nord de l’Entre-Sambre-et-Meuse.
LA FAMENNE/LA FAGNE
Au sud du Condroz s’étend une région occupée
essentiellement par des terrains schisteux : c’est la Famenne et
la Fagne, respectivement à l’est et à l’ouest
de la Meuse. Cette région, par suite de la faible résistance
des schistes à l’érosion (roches gélives),
forme une dépression, c’est-à-dire une aire d’altitude
nettement inférieure à celle des régions voisines
: Condroz au nord, Calestienne et Ardenne sensu stricto au sud. C’est
une région peu accidentée, vouée traditionnellement
à l’élevage. La continuité de cette région
schisteuse est interrompue dans les environs de Philippeville par une
zone calcaire allongée qui correspond à un bombement anticlinal.
On notera que la ville de Marche, habituellement présentée
comme la «capitale» de la Famenne, y occupe en fait une position
très marginale, à la bordure de la Calestienne.
LA CALESTIENNE
La Famenne schisteuse est séparée de l’Ardenne sensu
stricto par une bande relativement étroite (quelques kilomètres),
mais continue, formée de roches calcaires d’âge dévonien
appartenant au flanc sud du synclinorium de Dinant : c’est la Calestienne.
Elle se caractérise par un relief marqué qui fait opposition
à la dépression de la Famenne qu’elle domine souvent
d’une centaine de mètres. Outre la richesse de la végétation
calcicole, il faut signaler la valeur paysagère particulière
des formations calcaires (voir ci-dessous).
L’ARDENNE SENSU STRICTO
C’est le domaine très vaste qui s’étend au
sud et au sud-est des régions précédentes et qui
est défini par l’affleurement des formations géologiques
d’âge dévonien inférieur. Celles-ci sont constituées
entièrement de roches d’origine terrigène : il s’agit
de grès (ou quartzites), de siltites schisteuses et de schistes
ardoisiers, à l’exclusion des calcaires. Par rapport aux
régions naturelles plus septentrionales, le lœss est moins
abondant, le sol est moins fertile et la population est moins dense. Les
forêts y occupent une grande partie de la surface.
Le socle calédonien affleure en Ardenne dans quelques boutonnières
(«massifs calédoniens») qui forment le cœur des
zones anticlinales principales. Ces boutonnières exposent des roches
de même nature que celles de l’enveloppe dévonienne
plus jeune qui les entoure. Au point de vue paysager qui nous occupe ici,
elles font donc partie de l’Ardenne sensu stricto.
L’Ardenne s.s. est la région la plus élevée
de Wallonie. C’est donc là que l’incision des vallées
a été la plus profonde. Le creusement par les rivières
a été accompagné, en particulier pour la Semois et
la haute Ourthe, par le développement de méandres encaissés
très accentués, allongés nord-sud, c’est-à-dire,
selon la règle, dans le sens perpendiculaire à la direction
du feuilletage des schistes. Ces méandres, en même temps
que la profondeur des vallées et les vastes forêts, contribuent
au caractère rude et attrayant du paysage ardennais.
Le synclinorium de Dinant est bordé au nord par une bande étroite
de territoire formée, comme l’Ardenne s.s., de roches d’âge
dévonien inférieur. Cette bande, appelée «Ardenne
condruzienne» ( ou «Condroz ardennais») entre Liège
et Namur et Marlagne à l’ouest de la Meuse est souvent assimilée
à l’Ardenne s.s., bien que ses caractères soient moins
marqués : elle est moins élevée, moins boisée
(mais plus que le Condroz voisin) et surtout plus habitée.
LA LORRAINE BELGE
Il s’agit ici d’une région naturelle de caractère
complètement différent. Elle occupe une surface relativement
petite dans l’extrême sud du pays, mais s’étend
largement sur le territoire français. Elle est constituée
par la couverture mésozoïque non plissée, d’âge
surtout jurassique, dont les couches, qui descendent en faible pente (quelques
degrés) vers le sud, appartiennent au bord nord-oriental du Bassin
de Paris, vaste structure en cuvette qui couvre tout le nord et le centre
de la France. La série jurassique, en Lorraine belge, comporte
des niveaux de grès souvent calcareux alternant avec des niveaux
argileux. La morphologie de cette région est très différente
de celle du reste de la Wallonie par le fait que les formations jurassiques
n’ont jamais été pénéplanées.
L’érosion y a développé des dispositions en
cuestas.
BATI TRADITIONNEL ET REGIONS NATURELLES
En milieu rural, les bâtiments, qu’ils soient isolés
ou groupés dans un village, sont une composante souvent importante
du paysage. Les matériaux employés pour ces constructions
traditionnelles sont en relation directe avec la constitution géologique
des différentes régions naturelles. En effet, jusqu’au
début du XXe siècle, le transport des matériaux pondéreux
était toujours malaisé et parfois impossible : il devait
s’effectuer par traction animale sur des chemins souvent boueux
ou défoncés. Dans ces conditions, le bâti traditionnel
a été partout édifié au moyen de matériaux
naturels extraits de petites carrières locales : moellons de grès
ou de calcaire dans le Condroz, blocs de grès ou de schiste ardoisier
en Ardenne s.s., moellons calcaires dans la Calestienne. En Hesbaye, pays
du limon, le matériau classique a toujours été la
brique ; la pierre calcaire n’y était amenée qu’en
faible quantité pour réaliser les encadrements des ouvertures.
En Famenne, la brique mêlée au bois s’est exprimée
traditionnellement dans le colombage. En Lorraine belge, la qualité
souvent médiocre des pierres, en général assez friables,
a entraîné l’usage systématique des enduits
pour la protection extérieure des murs.
Ainsi, à travers la diversité des régions naturelles
du pays, les paysages portent l’empreinte de la géologie,
non seulement dans la géomorphologie et la végétation,
mais aussi dans le bâti traditionnel. Cette empreinte a conféré
aux villages, par l’homogénéité des matériaux
jointe à celle de la volumétrie des bâtiments, une
qualité patrimoniale souvent exceptionnelle.
On aura compris qu’il s’agit ici du bâti ancien traditionnel
antérieur à l’enlaidissement des campagnes par l’action
conjuguée de l’exode de populations urbaines et de l’ostentation
d’originalité de nombreux architectes. On ne compte plus
aujourd’hui les villages défigurés par des constructions
non intégrées au milieu : «fermettes» hesbignonnes
en Condroz, chalets alpins en Ardenne, bâtiments commerciaux en
forme de boîtes à chaussures agrémentés d’une
publicité multicolore et agressive, le tout, hélas, avec
la bénédiction de l’administration de l’urbanisme.
RÔLE DES AFFLEUREMENTS ROCHEUX DANS LE PAYSAGE
Les escarpements rocheux sont généralement considérés
comme des éléments qui contribuent à la qualité
des paysages et par conséquent à leur valeur patrimoniale.
Comme on l’a vu plus haut, la surface de l’Ardenne sensu lato
a été incisée par les cours d’eau lors de son
soulèvement depuis la fin du Cénozoïque. C’est
donc sur les flancs des vallées qu’apparaissent les affleurements
rocheux de quelque importance. Ceux-ci présentent des aspects très
variés selon la nature des roches impliquées et selon leur
géométrie (couches verticales, peu inclinées, plissées...).
Les schistes, de nature particulièrement friable, sont aisément
érodés et ne forment pas de grands rochers : à la
traversée des zones schisteuses, les vallées adoptent un
profil évasé (voir plus haut). En haute Ardenne, toutefois,
les roches, plus évoluées (schistes ardoisiers en partie
recristallisés), sont plus résistantes à l’érosion
et peuvent former des rochers parfois très escarpés (exemples
: haute vallée de l’Ourthe, vallées de la Semois,
de l’Amblève et de leurs affluents).
Les grès du Condroz, bien qu’ils soient à l’origine
du relief typique de cette région («tiges» du Condroz)
forment rarement des affleurements naturels de quelque importance ; ils
affleurent par contre largement dans de nombreuses carrières (voir
ci-dessous). En Ardenne, les grès et quartzites cambro-ordoviciens
et dévoniens inférieurs contribuent à la constitution
des escarpements rocheux.
Quant aux calcaires, on peut les qualifier de «rois des paysages»
et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, la plupart des calcaires,
lorsqu’ils sont exposés à l’air, perdent peu
à peu par oxydation lente le pigment charbonneux auquel ils doivent
souvent leur teinte foncée («pierres bleues»). Ils
acquièrent ainsi une patine très claire ce qui, dans les
paysages, les fait apparaître sous la forme de rochers blancs en
contraste marqué par rapport à la verdure des forêts
voisines.
D’autre part, la destruction des roches terrigènes par les
agents atmosphériques consiste en une dislocation mécanique
combinée à une attaque chimique par les eaux qui transforme
les silicates en matières argileuses. Le ruissellement contribue
ensuite à l’évacuation de tous ces produits. Le cas
des calcaires est différent : on sait qu’ils ont la propriété
de se dissoudre lentement sous l’action des eaux chargées
de CO2, ce qui provoque l’élargissement des fissures et rend
les masses calcaires extrêmement perméables. Dans ces conditions,
la plus grande partie des eaux de pluie pénètre dans la
roche, le ruissellement est peu important et l’érosion mécanique
des affleurements est très réduite. Cette circonstance explique
l’existence, en région calcaire, de multiples escarpements,
falaises, parois, aiguilles et «clochetons» qui interviennent
pour une grande part dans l’attrait des paysages, en particulier
le long des vallées du Condroz et de la Calestienne.
Il faut ajouter que, outre leur intérêt paysager, tous les
affleurements et escarpements rocheux, quelle que soit leur nature, présentent
un intérêt scientifique et didactique dans le domaine des
sciences géologiques. Ceci accroît leur valeur patrimoniale,
parfois dans une mesure importante et justifie dans certains cas une protection
par voie de classement, même en l’absence d’un intérêt
paysager marquant. Il n’est pas superflu de faire observer à
ce propos que la protection de la nature ne doit pas se limiter aux seuls
règnes végétal et animal mais qu’elle concerne
aussi le règne minéral.
Enfin, on ne peut passer sous silence les phénomènes karstiques,
parfois très spectaculaires qui résultent de la dissolution
des calcaires : grottes, chantoirs, dolines, vallées sèches,
dont le classement peut se justifier tant pour des raisons esthétiques
que scientifiques.
LES AFFLEUREMENTS ROCHEUX ARTIFICIELS
Il s’agit ici des carrières et des tranchées des
routes et des chemins de fer. Ces genres d’affleurements sont souvent
regardés avec mépris comme des éléments dévalorisants
des paysages, voire comme nuisibles à la qualité de l’environnement.
C’est ainsi que voient régulièrement le jour des projets
de comblement de carrières désaffectées («il
faut faire disparaître les chancres du paysage...») ou que
les affleurements mis à jour dans les tranchées de route
sont soigneusement cachés sous une couverture de terre et de végétation,
voire par des murs.
Or, si l’exploitation d’une carrière ou l’ouverture
d’une route entraînent ipso facto une modification du paysage,
au même titre d’ailleurs que toute intervention humaine, cette
modification n’est pas nécessairement une dégradation.
Pourquoi les parois et escarpements rocheux qu’il est d’usage
d’admirer lorsqu’ils sont naturels devraient-ils être
honnis quand leur origine est artificielle ? Quant à l’intérêt
scientifique pour le géologue, il réside autant dans les
carrières et tranchées que dans les rochers naturels.
Il conviendrait à ce propos que disparaisse de l’opinion
(et de la presse...) la confusion, souvent entretenue à dessein,
entre la crainte de nuisances, crainte parfois très justifiée
et le souci mal placé de préserver la qualité du
paysage.
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